lundi 23 juillet 2018

RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE: TEXTE INTÉGRAL DU FRÈRE KORDIAN, OFM

Voici le texte intégral du frère Kordian Merta, OFM que nous n'avons pu publier dans le dernier numéro de la Revue des Missions des Franciscains, août 2018.


RÉPUBLIQUE CENTRAFRCAINE
Après un énième malheur dont elle n’a pas été en mesure d’empêcher la venue, l’Organisation des Nations unies a annoncé que la République centrafricaine (RCA) se situait à la 182ème place sur la liste concernant la richesse des pays, c’est-à-dire à la dernière place.

Pour rappel sur l’origine de la guerre, en 2013, des rebelles musulmans du Tchad et du Soudan ont profité de la faiblesse du gouvernement et des divisions en RCA pour faire un coup d’état. Très rapidement ils ont occupé le pays, ils ont armé la population musulmane locale, qui représentait 15% de la population totale.

Assez rapidement, les forces internationales ont fait fuir les mercenaires. Mais les armes distribuées sont restées. Et, ce qui est le plus douloureux : une division jusque-là inexistante entre chrétiens et musulmans a vu le jour. Leur séparation s’est creusée jour après jour, nourrie par les attaques et les désirs de vengeance. La tâche de l’ONU était la stabilisation du pays et le désarmement des deux côtés.

Ces événements sont évidemment avant tout une tragédie pour le pays et ses habitants, qui sont désormais privés de sécurité, de justice, d’éducation et de tout ce qui s’y rattache. Avec tout ce que cela implique de sentiments d’injustice, de désir de vengeance et de divisions au sein de la population.

1 milliard d’euros par an, et pas de paix en vue


Mais c’est aussi une tragédie pour l’ONU, le signe de la tragédie générale que vit l’ONU. Depuis 4 ans, les Casques Bleus disposent d’un budget annuel de près d’un milliard de dollars dans un pays qui ne compte que 4 millions d’habitants. Le monde a donc déjà dépensé plus 1000 $ par habitant, sans compter l’aide humanitaire apportée par les ONG. Et malgré tout ceci, on ne voit pas l’ombre d’une amélioration.

Cette tragédie a deux faces. L’endroit tout d’abord : alors que l’Oubangui-Chari était une colonie française, le pouvoir français envoyait ses employés sur le territoire de l’actuelle RCA pour les « punir ». Les colonies se développaient sur les côtes ; et si toutes les conditions étaient réunies, un éventuel progrès économique pouvait pénétrer plus profondément dans le continent. Or la République centrafricaine, comme son nom l’indique, est le centre même du continent (sur le territoire de notre paroisse se trouve ce malheureux point central du continent africain).

Ce manque de développement économique a été, dès le début, un spectre qui hante toujours la RCA. Le pays n’a jamais eu d’élites dignes de ce nom. Les dirigeants l’un après l’autre battaient les records de médiocrité, certains allant même plus loin : l’empereur Bokassa a trouvé sa place dans le registre du Guinness comme le plus grand mégalomane du XXe siècle. Il s’est offert un sacre pour son couronnement à l’image du celui de Napoléon. Il a réussi à ridiculiser non seulement la RCA, mais l’Afrique tout entière. Un point positif : le président actuel est le premier à avoir de bons diplômes. Mais cela ne signifie pas pour autant qu’il a le charisme pour servir le pays.

L’obsession de la transgression


L’envers de la tragédie est celle des choix que fait le monde que représente l’Organisation des Nations unies. Je ne suis pas supporteur de la politique menée par Donald Trump, mais je comprends pourquoi il ne veut plus donner l’argent des contribuables américains à l’ONU. Les structures de l’ONU sont dépassées, non adaptées aux besoins réels. Cette organisation nécessite une réforme.

Les chefs des unités des Casques Bleus sur le terrain vivent dans l’obsession de la transgression. Ainsi, au mois de mars de cette année, Rafaï – et notre mission qui s’y trouve - a été attaquée par les rebelles musulmans. Ils sont venus de Zemio, éloigné de 150 km de chez nous. Les habitants se défendaient principalement avec des armes de chasse de production artisanale, peu parmi eux avaient des armes de guerre. Les attaquants disposaient de plus d’armes de guerre, et même de lourdes armes automatiques, mais combattaient tout de même surtout avec les fusils de chasse. Précisons que les rebelles musulmans sont en grande partie des nomades, certes bons marcheurs, mais ne possèdant ni force ni expérience pour manier les armes lourdes. Ils tiraient beaucoup mais heureusement souvent sans réussir à toucher leurs cibles.

Bien qu’ils disposent, eux, de véhicules armés, de munitions illimitées et qu’ils soient formés, les soldats de l’ONU ont fui et se sont cachés dans leur base derrière les remparts de terre. La conséquence a été terrible : alors que cent soldats de métier pourraient en finir en une heure face à de tels guerriers, les combats ont duré 3 jours et 25 personnes sont mortes.

Pourquoi l’ONU est-elle restée inactive ? Si les soldats de l’ONU avaient pris part aux combats, quelqu’un aurait très probablement été touché par une arme de l’ONU. Conséquence : l’instauration d’une commission spéciale. Et si, en plus, la victime avait eu entre les mains une arme artisanale, ou, Dieu nous en garde, avait été une femme ou un enfant, le chef de l’unité aurait dû dire adieu à sa carrière.

L’ONU a donc besoin, pour pouvoir agir, de feux verts, dont toutes les conséquences sont assumées par ceux qui donnent les autorisations, qui prennent les décisions. Ce sont les criminels de guerre qui doivent avoir peur, et non les soldats qui apportent la paix.

Un désarmement… désarmant de naïveté


Dans l’histoire de l’ONU, jamais on n’a désarmé en utilisant les forces : le processus doit être pacifique. Ainsi, il y a un mois (mars 2018), à Bangassou (diocèse auquel appartient notre paroisse), on a réussi à avoir un premier cessez-le-feu, après une année des relations particulièrement brutales entre les musulmans et les chrétiens, et ce en présence d’un nombre imposant des Casques Bleus. C’est là le fruit du travail du cardinal Dieudonné Nzapalainga, originaire de Bangassou.

L’ONU a proposé le désarmement contre de l’argent : pour un fusil fait maison, ils donnaient 75.000 CFA soit 115 euros en trois tranches. En deux semaines, ils ont récolté 2.000 carabines. Un grand succès ? Oui, à en croire la description de l’opération rédigée dans le rapport remis au siège de l’ONU à New York. Mais qu’en est-il vraiment ? Au bout de deux semaines, le dépôt des armes s’est arrêté. Pourquoi ? Parce que les armes n’étaient pas celles utilisées pendant la guerre, mais de nouvelles produites localement : la production d’un fusil, c’est 5.000 CFA ; l’ONU donne 75.000 CFA. Le calcul est facile à faire. Du point de vue technique, quel exploit, pour les artisans locaux, d’avoir réussi à produire 2.000 fusils en si peu de temps ! Mais, passé deux semaines, les forgerons n’étaient plus en mesure d’en continuer la production : ils manquaient de tuyaux pour faire des canons. La nuit, ils allaient à la mission catholique pour arracher les tuyaux des murs ou les déterrer. Tant qu’il y a eu des armes et de l’argent, tous respectaient les règles pacifiques. La paix a pris fin avec la fin de cette source particulière de ressources.

Peut-il y avoir des effets positifs d’une guerre ?  Non !  Un poète polonais l’a bien formulé : « Il n’y a pas de vainqueurs dans une guerre, il n’y a que des vaincus ». Même si la guerre est sainte ? Saint François s’est trouvé parmi les croisés près de Damiette. Quand il s’est rendu compte de ce qui se passait dans le cœur des croisés, il a fui.

L’enjeu primordial de l’éducation


Depuis deux ans, il n’y a plus d’autorités à Rafaï, les jeunes du pays ont pris le pouvoir. À deux reprises ils ont repoussé les attaques des rebelles musulmans qui ont voulu prendre le contrôle de la région. D’un côté, ce sont des héros, des patriotes. Mais de l’autre, la guerre a transformé quelques-uns en cannibales au sens propre : les cérémonies rituelles, qui supposent donner la force d’un vaincu après l’avoir mangé, ont repris parmi eux. Décorés d’amulettes censées les protéger des balles de l’ennemi, ils se droguent presque tous. Quand ils ont des prisonniers, ils jugent eux-mêmes, en fonction de leur opinion, et ils exécutent les peines, peine de mort comprise.

L’Église est probablement restée le seul endroit où on appelle les choses par leur nom et où on garde espoir. Etre présent, dire la vérité et garder espoir est certes très important, mais cela ne suffit pas. Face à une foule affamée, Jésus dit aux apôtres : « Donnez-leur à manger ». Grâce à Dieu, malgré la guerre, la terre continue ici à produire en abondance. Personne n’a faim. Il faut oublier le savon, le sel tout ce qui vient de l’extérieur.

Les racines des problèmes de la RCA, c’est qu’elle n’a jamais mûri, ou plutôt n’a jamais atteint la maturité : c’est un pays avec un taux d’illettrés et de semi-illettrés qui est terriblement élevé et où le niveau d’éducation est inqualifiable. Là encore, le Christ nous dit : « Assurez leur éducation ». L’année dernière, le bac a eu lieu en juin à la capitale. Nous n’avons pu l’organiser et le faire passer chez nous, à Rafai, qu’en novembre, dans l’établissement de notre mission, qui est le seul collège-lycée à 100 km à la ronde. La commission nationale a eu peur de venir (en avion) chez nous, malgré les assurances de l’ONU. Le voyage en voiture n’était même pas envisageable. Cette année encore, nous ferons malgré tout, passer le bac à Rafaï.

Dans tous les villages de notre mission, les écoles primaires sont ouvertes, même celles qui se situent dans la région la plus menacée par des rebelles musulmans. Deux de ces établissements ont été complètement brûlés. Il y a encore un an, nous avions des élèves musulmans dans nos écoles. Leur absence est une grande perte : eux aussi ont besoin d’éducation.

Le miracle est possible


Le Christ avec les apôtres a nourri cinq mille affamés. Nous avons 2.500 élèves. Pour commencer l’année scolaire en octobre, après les vacances, nous avons besoin d’une tonne (400 g par élève) de matériel scolaire – cahiers, craie, bics. Déjà en janvier, nous avons trouvé l’argent, avons tout acheté, mais tout reste à la capitale. Comment le transporter chez nous ? Par la route, c’est impossible, les rebelles en contrôlent un tronçon de 300 km. Il faudrait un nouveau petit miracle pour que l’ONU fasse une exception et prenne à part les munitions, les poulets congelés du Brésil, le lait en carton venu d’Allemagne… et également nos cahiers. 

La pétition pour un miracle, nous l’avons déposée il y a deux mois : elle demande donc ce transport du matériel scolaire jusqu’à Rafaï. La pétition circulait du secrétariat des affaires civiles jusqu’au bureau du général en chef, elle s’est enrichie de quelques signatures et autant de tampons, tout le monde souhaite que le miracle se produise. Mais on attend encore l’acceptation de ceux qui couvrent les frais du convoi.

L’éducation seule ne va pas résoudre le problème de la RCA, mais sans l’éducation, on ne peut résoudre aucun problème sur le long terme. En RCA, tout le monde rêve de paix, mais celle-ci ne pourra pas être durable sans éducation. L’enjeu est énorme. Et il exige réellement un miracle. Le nombre d’enfants qui entrent sur les bancs de l’école augmente chaque année. Le contraire de ce qui se passe en occident, où les sociétés vieillissent. Ici, les enfants et les jeunes sont majoritaires. La croissance démographique est galopante. La solution à ce problème ne peut venir que par une éducation renforcée, assurée pour longtemps aux enfants.

Pour le moment, le gouvernement et les ONG ne sont pas présents à Rafaï. Il n’y reste que la mission franciscaine. Peu importe le danger, peu importe ce qui se passe, nous ne pouvons pas la quitter : cela ne ferait qu’augmenter le malheur là où il y en a déjà au dessus de toute mesure. Cela anéantirait les restes d’espoir, dans ce lieu où les nuages de guerre et son non-sens plongent le monde dans le noir.

Mais seuls, nous ne pouvons rien. Pourtant, le miracle est possible, car « si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? ».

Kordian Merta, OFM

2 commentaires:

Unknown a dit…

Je suis une aînée.
J’ai cherché,afin de signer la pétition,dont parle le texte du frère Kordian.OFM et je n’ai pas trouvé.
Cela me ferait tellement plaisir de signer cette pétition pour l’avenir des enfants ducentrafrique,cela est tellement important à mes yeux.
Merci de me guider vers.....cette pétition

AGANZE a dit…

Oui! c'est encore possible de croire à un miracle car l’évêque de Goma, Mgr Théophile Kaboyi avait écrit je cite:"Même si le mal semble gagner, Dieu a toujours le dernier mot!Courage".Frère Kordian, c'est avec émotion que je viens de lire ton texte sur la situation tragique en RCA. A l'aéroport de Luano à Lubumbashi, j'ai rencontré la Sr Nathalie, franciscain du saint Esprit qui m'avait expliqué en bref cette situation.Il y a une année que le Fr.Foulou JC,OFM avec qui nous avons passé ensemble trois ans chez nous m'avait envoyé un mail de l'irruption d'un groupe des rebelles dans une fraternité des soeurs citée précédemment dans laquelle il a été victime.Oui, la situation est alarmante. J'ose croire que le jour viendra où le peuple centrafricain chantera le cantique de la libération.Comme le Pape François nous le demande à nous frères mineurs, de continuer à manifester notre proximité au peuple en souffrance comme le cas d'Alep et de lui porter tous les jours "l'étreinte de Dieu". Chaque jour les scolastiques du Congo-Kinshasa ont une intention libre au cours des offices pour les frères en mission vers les périphéries existentielles en l'occurrence la RCA,Butembo-Beni, Alep,ect.Je vous promets mes humbles prières!Je remercie ce blog de partage missionnaire franciscain.Oui,la fraternité en mission comme le veut le Frère Ministre Général Perry,ofm. Frère et mineur vers les périphéries existentielles où les eaux sont ébullitions. Depuis le Caire en Egypte de passage vers les périphéries extentielles, Fr.Aganze,ofm