jeudi 11 octobre 2012

DÉCÈS D'UN MISSIONNAIRE

Le frère Eugène Bilodeau, OFM, est décédé à Montréal le 7 octobre 2012, à l'âge de 88 ans, après 64 ans de vie religieuse. Le frère Eugène a été missionnaire en Terre Sainte de 1955 à 1970. Il avait rédigé un texte pour la Revue des Missions des Franciscains lors du numéro spécial sur la Terre Sainte (Mars 2011, vol.88, no.1). En son hommage, voici donc ce qu'il nous a partagé sur son expérience dans le pays de Jésus:

QUINZE ANNÉES BIEN REMPLIES

 

Frère Eugène Bilodeau, OFM.

 

 

J'ai quitté le Québec pour la Terre-Sainte en 1955 avec mes coffres d'outils afin d'enseigner l'ébénisterie aux garçons orphelins et réfugiés. Ne parlant pas la langue arabe à mon arrivée, j’ai fait mon enseignement par personne interposée. J’ai eu cette charge pendant les 12 années vécues à Saint Sauveur à Jérusalem.

 

Je cumulais vite d'autres responsabilités importantes. Parmi celles-ci, j’ai été chauffeur officiel du père Custode, ce qui m’a permis d'aller partout au Proche-Orient où se trouvent des monastères de la Custodie. J’ai été nommé directeur de la Mission Pontificale pour les réfugiés palestiniens. Cette dernière tâche m’a permis de mettre sur pied une bibliothèque avec des livres en six langues, de même qu'une discothèque où étaient organisés des concerts de musique classique tous les jours ouvrables. La Mission Pontificale organisait des distributions de vivres, de médicaments, de vêtements et d’argent pour répondre aux besoins des familles de réfugiés et des communautés religieuses. Cela demandait beaucoup d'employés pour exécuter ce travail très complexe. Cette oeuvre existe encore en 2010.

 

Durant tous ces voyages, ma vie a été menacée plusieurs fois car je n'ai manqué aucune des guerres qui eurent lieu de 1955 à 1970, c'était toujours à mes risques et périls. Je me retrouvais souvent en danger de mort jusqu'après la guerre des Six jours, c'est alors que j’ai été transféré au mont Thabor où j’ai demeuré durant trois ans ayant comme tâches l'administration financière, les courses et homme à tout faire. La situation était plus stable et moins dangereuse à cet endroit.

 

Voilà pour les engagements qui m’ont apporté beaucoup grâce aux nombreux contacts que j’ai établis, par la prise de conscience des problèmes humains et une meilleure connaissance  de l'histoire des Palestiniens avec qui je sympathise depuis toujours.

 

*

 
Pour mes expériences spirituelles, j’aimerais débuter ce témoignage par un texte biblique de Job: 33, 14-16. Quand Dieu parle, Il choisit tel moyen d'expression, ou tel autre, mais on n'y fait pas attention.  Il nous parle dans un rêve, dans une vision nocturne, lorsque l'engourdissement s'abat sur les humains, quand ils sont endormis, allongés sur un lit. Il leur apporte alors une révélation et Il les avertit définitivement.

 

Jamais je ne me suis habitué en Terre-Sainte. Je vivais comme si c’était le premier jour pendant 15 ans, tout me parlait de Dieu, de Jésus, dans ce silence et cette solitude je baignais et c'est alors que sans bruit le Seigneur est venu me remplir comme une éponge qui baigne dans l'immensité de la mer, je me suis senti lié comme par un cordon ombilical spirituel jamais rompu, en dehors du temps et de l'espace, au-delà des frontières de la mort corporelle.

 

*

 
Quelle suavité pour mon âme de vivre cette communion des Saints dans le Corps mystique du Christ avec tous, Palestiniens et Juifs.

 

Nous avons vécu beaucoup d'amitiés spirituelles, surtout avec des musulmans qui forment la majorité. Je percevais dans toutes ces âmes la foi, l'espérance, l'amour, l'esprit et l'intelligence. J'ai dû apprendre à organiser ma pensée autrement pour communiquer avec tous à la manière orientale et selon les coutumes sémites, avec courtoisie et une diplomatie complice. Dans ce contexte j’ai témoigné ce que je suis, ce que je vis et ce que je pense, inspiré par la vie de Jésus, de Marie et des Saints, à l'exemple de saint Paul.

 

Ces années bienheureuses, remplies de richesses et de certitudes intérieures reçues non seulement pour moi mais aussi pour les autres,  me rendaient ni plus grand, ni meilleur, mais plus responsable pour servir et donner, c'était là ma mission, ma vocation et je crois avoir travaillé en ce sens toute ma vie dans la liberté des enfants de Dieu. Par ma seule présence, à la manière de saint François, je vivais mon ministère.

 

Tout dans ma vie spirituelle a une touche, un sens mystérieux, subtil, je dirais même magique et ça se reflète dans les dons reçus de la Providence: intelligence, équilibre, solidité, ténacité, responsable, laborieux, réaliste, stable, patient, adroit, sociable, etc. Dieu seul connaît tous les talents et toutes les grâces qu'Il m'a donnés. Ce qui me donne par voie de conséquence des qualités mentales intuitives et imaginatives.

 

J'ai osé sincèrement beaucoup de choses qu'il serait trop long d'énumérer ici, surtout que je n'ai pas de formation académique, ni canonique, étant autodidacte sur les bords. J'ai donc dû me servir de mon bon jugement dans toutes les circonstances de ma vie religieuse. Je vivais des moments semblables à ce qu'a vécu Jésus, Joseph, les Apôtres, et avec les valeurs absolues dans la liberté de l'esprit et l'intensité de mes relations avec les peuples sémites.

 

Je ne peux passer sous silence la place privilégiée que Marie occupe et occupera toujours à l'intérieur de ma vie spirituelle : Elle a créé une émulation féconde entre moi et son peuple en donnant à nos intelligences le souci de s'étonner et de se dépasser. Je me sens toujours béni par la Vierge Marie.

 

Je comprends très bien que le Seigneur est mon soutien, ma force, ma santé, mon repos et mon courage. Quelle belle histoire sacrée, sainte, d'amour, glorieuse que la mienne et elle continue jusque dans l'éternité bienheureuse. Je suis comme le chemin de Dieu et déjà ressuscité et je suis attentif à vivre ma résurrection. J'essaie de ne pas me laisser berner par le néant et la poussière d'ici-bas.

 

Texte publié dans la revue Missions des Franciscains, mars 2011 (Vol. 89, no.1)

 

 

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