jeudi 22 avril 2010

POUR EN FINIR AVEC LES EXCUSES



Un très bon texte de Mme Elba Rivera Urbina paru dans le journal Le Devoir du 17 et 18 avril 2010. À LIRE ET RÉFLÉCHIR ABSOLUMENT !




Aide au développement pour l'éducation - Pour en finir avec les excuses



Elba Rivera Urbina - Enseignante au Nicaragua et membre de W8, groupe de huit femmes du Sud réunies par Oxfam et se vouant à la lutte pour la santé et l'éducation dans leurs pays respectifs. 17 avril 2010

L'OCDE soutient qu'une reprise économique mondiale est en cours. Elle cite l'exemple de l'économie canadienne, qui se porterait particulièrement bien. Mais tandis que la récession s'éloigne au Nord, à chaque minute, 100 personnes sombrent dans la pauvreté au Sud.

Dans la région rurale du Nicaragua où je travaille, je constate les effets dévastateurs de la crise économique. Les chauffeurs de taxi ne trouvent pas assez de clients pour remplir leur journée de travail. Les gens marchent ou décident tout simplement de rester à la maison. Les exportateurs de bétail ont vu leurs affaires s'effondrer en raison de la chute des prix. Nous revenons à l'époque du troc qu'ont connue nos grands-parents, alors qu'on échangeait nos légumes contre des fruits.

Surtout, les enfants se voient nier leur droit à l'éducation. Nombre d'entre eux, qui avaient entamé leur année scolaire, abandonnent l'école à mesure que leurs familles s'enlisent dans la pauvreté. L'éducation demeure pourtant l'un des moyens les plus intelligents, les plus rentables et les plus équitables de se sortir de la crise.

Avec la récession, le besoin d'aide au développement est plus grand que jamais. Malheureusement, les pays donateurs se servent de cette récession pour justifier la réduction de leur budget d'aide au développement. Tandis que les décideurs des pays riches dissimulent les coupes budgétaires dans la politique du «donnant, donnant» — on coupe dans l'aide à l'agriculture pour donner à l'éducation et vice versa —, la plupart des habitants du Sud font tout leur possible pour survivre.


Capacité de développement


J'ai vécu dans l'arrière-pays du Nicaragua presque toute ma vie, et je me bats depuis plusieurs années pour la dignité. Je sais qu'il est essentiel de s'aider soi-même pour réussir. Mais je sais aussi d'expérience que sans aide au développement, des millions de personnes démunies n'auraient jamais eu droit à l'éducation, à la formation, à des traitements médicaux, à l'eau et à bien plus encore. L'éducation est nécessaire pour exercer d'autres droits humains: c'est la base de l'épanouissement personnel et la pierre angulaire de la capacité de développement d'une nation.

J'ai vécu dans une ferme avec ma famille jusqu'à l'âge de 18 ans. J'étais habitée du désir ardent d'aller à l'école. J'étais relativement heureuse, mais à 18 ans, je ne savais toujours pas lire! Cela faisait de moi une femme sans avenir.

Mais grâce à la volonté politique, à la solidarité de milliers de Nicaraguayens et à l'aide au développement de nombreuses nations soeurs, mon pays a lancé une campagne d'alphabétisation massive dans les années 1980. Comme à des milliers d'autres, on m'a évité de répéter l'histoire de ma grand-mère, celle d'une mère de trop nombreux enfants morte analphabète.


Communautés entières


J'ai aujourd'hui 47 ans, et comme femme, agricultrice, enseignante et environnementaliste, je sais que ma vie ne serait rien, sans l'aide au développement.

Sans elle, je n'aurais jamais appris à lire. Je ne serais jamais allée à l'école. Je n'aurais jamais étudié à l'université. Sans aide au développement, mes frères et soeurs ne sauraient pas lire, et je ne saurais pas qu'il existe d'autres cultures et d'autres personnes aussi humaines et nécessiteuses que moi.

On ne peut nier que des erreurs ont été commises dans la manière dont l'aide au développement a été abordée. On a été témoin d'échecs, comme le détournement de fonds et l'insuccès de certaines politiques et de certaines méthodologies. Je partage de telles critiques. L'aide au développement ne doit pas profiter à un nombre restreint de personnes, mais à des communautés entières ainsi qu'aux générations futures.


Précarité et espoir


Mais il est immoral de se servir de ces faits pour justifier l'amputation de l'aide au éveloppement. Celle-ci ne devrait pas dépendre des intentions égoïstes à court terme des politiciens ni ne devrait apparaître comme une solution miracle. Elle consiste plutôt en un investissement à long terme visant à réduire la pauvreté.

J'invite les sceptiques à venir vivre chez moi pendant deux mois. Je vous emmènerais dans des communautés vivant dans l'eau et la boue, chez mes collègues qui travaillent sans électricité ni téléphone, à des endroits où il n'y a pas de toilettes, de centres médicaux ni d'enseignants, dans des lieux où les gens vivent dans la précarité, sans espoir.

Si vous en avez envie, je vous offre mon salaire d'enseignante de 165 $ par mois. Je vous
invite à parcourir pendant des jours les montagnes en ma compagnie pour échanger et pour vivre parmi les paysans, là où les pannes d'électricité sont monnaie courante et où il faut recueillir l'eau dans des bouteilles. L'expérience vous privera peut-être d'une partie de l'énergie que vous utilisez pour contester l'aide au développement. Vous pourriez même reconnaître votre obligation morale et spirituelle envers le monde et ses plus démunis.

***

Elba Rivera Urbina - Enseignante au Nicaragua et membre de W8, groupe de huit femmes du Sud réunies par Oxfam et se vouant à la lutte pour la santé et l'éducation dans leurs pays respectifs.

Mme Elba Rivera Urbina est l'une des conférencières invitées dans le cadre du Sommet du Millénaire qui se tiendra à Montréal du 20 au 22 avril.

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